Le National Geographic m’a interviewé pour un article sur les faux manuscrits de la mer Morte au Musée de la Bible à Washington.

Le journaliste Michael Greshko m’a contacté au sujet de l’article qu’il était en train de préparer et m’a envoyé un rapport rédigé par une société dénommée “Art Fraud Insights” qui a été embauchée par le Musée de la Bible (MdlB) afin d’examiner ses manuscrits de la mer Morte et de détecter d’éventuels faux.

Le rapport conclut que tous ces manuscrits sont des faux modernes, rejoignant ainsi mes propres conclusions en 2016. Je suis en effet le premier spécialiste à avoir annoncé qu’ils étaient tous contrefaits. Petit rappel de la façon dont je suis parvenu à cette conclusion :

  • Dès 2007, j’ai émis des doutes quant à l’authenticité d’un nouveau manuscrit de la mer Morte ; j’ai exprimé ces doutes dans une publication parue en 2008.
  • En 2012, on m’a demandé d’étudier les manuscrits de la mer Morte de la collection Schøyen, en Norvège. L’écriture de plusieurs de ces fragments présentait des anomalies. J’ai demandé à les examiner (on m’avait seulement donné des photographies) et, lorsque je les ai vus (en 2013), je me suis demandé si certains n’étaient pas des faux. Je n’ai rien dit car je voulais d’abord trouver des preuves plus solides. J’ai donc demandé à les examiner à nouveau en 2014, et j’ai trouvé lesdites preuves, que j’ai partagées avec mes collègues norvégiens. Nous avons poursuivi ensemble notre enquête, et en 2015 nous étions tous convaincus qu’il y avait de nombreux faux.
  • En 2015, l’un des membres de notre équipe, Kipp Davis, travaillait avec le MdlB à la publication de ses manuscrits de la mer Morte. Il nous a alors dit qu’il suspectait la présence de quelques faux fragments parmi eux. Hélas, il n’avait pas le droit de partager des photographies avec nous.
  • En février 2016, on a attiré mon attention sur la photographie d’un manuscrit de la mer Morte sur site du Mdlb, qui annonçait l’ouverture prochaine du musée (qui a eu lieu fin 2017). J’ai immédiatement reconnu la même écriture que j’avais vue sur les faux manuscrits en Norvège. J’ai appelé Emanuel Tov, qui dirigeait la publication des manuscrits de la mer Morte du MdlB, mais il n’a pas voulu me donner des photographies.
  • En mars 2016, j’ai dit à une journaliste de Newsweek qu’il pouvait y avoir des contrefaçons parmi les manuscrits de la mer Morte du Mdlb.
  • En novembre 2016, à l’occasion d’un colloque international aux États-Unis, j’ai vu le livre qui publiait les manuscrits de la mer Morte du MdlB, qui venait de paraître. Je l’ai rapidement feuilleté : quel choc de reconnaître l’écriture du même faussaire sur tous les fragments ! Le soir même, je l’ai dit à Kipp Davis ; il soupçonnait la présence de quelques contrefaçons, mais n’imaginait pas que tous pouvaient être des faux…
  • J’ai préparé une communication que j’ai présentée quelques mois plus tard, en août 2017, lors d’un colloque à Berlin (vous pouvez encore regarder la vidéo). J’ai également partagé mes conclusions avec plusieurs journalistes, y compris Sciences et Avenir, Live Science, La Vie, Science & Vie, La Vanguardia, etc.
  • Entre temps, le MdlB avait décidé de tester ses fragments ; Mike Holmes me dit que le projet remonte à la fin 2016, et que cinq fragments ont été envoyés pour analyse au printemps 2017, mais que les résultats ne sont revenus qu’en octobre 2018. Ira Rabin, qui avait collaboré avec nous pour étudier les manuscrits de la collection Schøyen, a effectué les analyses et a confirmé que les cinq fragments étaient contrefaits.
  • Finalement, le MdlB a embauché “Art Fraud Insights” afin d’examiner tous leurs fragments. Le rapport, qui a été achevé en novembre 2019 mais n’a été annoncé que vendredi dernier (13 mars 2020) par le National Geographic, confirme que les manuscrits sont tous des faux… Trois ans après mes propres conclusions. 😉

Il y a néanmoins un élément que je trouve intéressant dans ce rapport. Lorsque les manuscrits de la mer Morte du MdlB on été publiés, il y en avait 13 dans le livre. En 2017, lorsque le MdlB m’a finalement envoyé des photographies, il y avait 16 fragments. Le MdlB avait acheté 3 autres fragments, trop tard pour les inclure dans le livre. 2 d’entre eux étaient presque vierges (à part quelques traces d’encre), mais le troisième (SCR 4769) avait quelques lettres, qui n’ont pas été tracées par la même main maladroite que les 13 autres. Si ce fragment est lui aussi un faux, ainsi que le rapport le suggère, il a été contrefait par un autre faussaire, bien plus adroit. Cela confirmerait que nous devons être très prudents vis à vis des manuscrits de la mer Morte qui apparaissent sur le marché des antiquités : même si leur écriture ne présente aucune anomalie, ils peuvent être l’œuvre d’un habile faussaire. Comme je l’ai dit à Michael Greshko, le journaliste de National Geographic, j’aimerais que ce fragment fasse l’objet de tests complémentaires. Si ceux-ci confirment qu’il s’agit d’un faux, je soupçonne alors quelques autres fragments, qui n’ont pas été copiés par le même faussaire maladroit dont je reconnais maintenant bien l’écriture, d’être néanmoins des faux (par exemple le fragment de Joël dans la collection Schøyen, ou les fragments du Lévitique à l’IAA). Ces quelques fragments pourraient même avoir été contrefaits par un unique faussaire.

L’histoire n’est donc pas finie, restez connectés pour d’autres nouvelles sur ces contrefaçons ! 😉

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