Dans la mesure où Jésus et ses disciples parlaient araméen (https://michaellanglois.fr/questions/quelle·s-langue·s-parlait-jesus/), il est normal que des traditions araméennes orales et écrites le concernant aient circulé durant les premiers siècles de notre ère. D'ailleurs, une ancienne tradition chrétienne (attribuée à Papias, au IIe siècle de notre ère) rapporte que l'évangile selon Matthieu aurait d'abord été rédigé en hébreu (sachant que l'hébreu et l'araméen sont deux langues sœurs).
Malheureusement, cet hypothétique évangile araméen a disparu. La découverte des manuscrits de la mer Morte a permis de croire qu'il était possible de le retrouver, mais pour l'heure, ce n'est pas encore le cas. Les plus anciens manuscrits connus à ce jour datent du IIᵉ siècle de notre environ et sont en grec, que ce soit pour les quatre évangiles de nos bibles (Matthieu, Marc, Luc et Jean) ou d'autres évangiles dits apocryphes (Thomas etc).
En attendant de trouver des manuscrits araméens anciens, le mieux que l'on puisse faire est d'en chercher des traces dans d'autres textes. Il y a bien sûr l'araméen dit christo-palestinien (pour lequel j'ai créé une police Unicode : https://michaellanglois.fr/it/christian-palestinian-aramaic-unicode-font_police-unicode-darameen-christo-palestinien/), mais les rares manuscrits connus à ce jour sont alignés sur le grec.
Un autre dialecte araméen, dit syriaque, est moins proche de celui de Jésus, mais il a l'avantage d'avoir livré une riche littérature chrétienne, y compris plusieurs versions des évangiles. La plus ancienne que l'on connaisse est le Diatessaron, qui daterait du IIᵉ siècle de notre ère. Il a lui aussi disparu, mais des citations et traductions ont été préservées. On ne sait pas grand-chose à son sujet : on le présente comme une harmonie des quatre évangiles, mais il semble en réalité contenir d'autres traditions évangéliques, et le terme grec “diatessaron” (“à travers quatre”) employé pour le désigner apparaît bien plus tard. Il pourrait donc être le témoin de traditions araméennes, voire d'un ou plusieurs évangiles araméens. Le Diatessaron sera en usage dans des églises syriaques pendant plusieurs siècles, jusqu'à ce qu'il soit confisqué au Vᵉ siècle et remplacé par les quatre évangiles.
La traduction syriaque de ces quatre évangiles a pu commencer dès le IIIᵉ siècle de notre ère, avec la version dite “vieille syriaque”, mais elle n'est connue que partiellement. Elle a pu se servir du Diatessaron ou d'autres traditions araméennes, mais elle semble montrer une volonté de s'aligner sur la version grecque de ces évangiles. Elle a subi de nombres révisions en ce sens, la plus connue étant la Peshitta, qui est devenue la version officielle des bibles syriaques vers le Vᵉ siècle de notre ère. La Peshitta elle-même a connu plusieurs phases éditoriales, qui sont encore méconnues, mais qui démontrent clairement une volonté de s'aligner sur la version grecque officielle des évangiles. Les vestiges de traditions araméennes qui peuvent y demeurer sont donc difficiles à isoler.
Espérons que de nouvelles découvertes nous permettront d'y voir plus clair pour comprendre la façon dont les traditions liées à Jésus ont été transmises durant les premiers siècles de notre ère par les diverses communautés religieuses, aboutissant aux différents évangiles que nous connaissons aujourd'hui et à d'autres qui ont aujourd'hui disparu. Une chose est sûre, cette transmission est plus complexe qu'on le dit parfois : au delà de la langue (grec ou araméen), c'est la matérialité de ces traditions dans leur ensemble qu'il faut étudier à partir des plus anciens témoins du texte (manuscrits, citations…). Il reste encore bien des mystères à élucider !
On Tue, Oct 29, 2024 at 5:26 PM
Bonjour M. Langlois,
Que pensez-vous des arguments développés dans le lien ci-après ?
Ils me semblent très convaincants. En général, les gens les
balaient par un argument d'autorité : la majorité des universitaires
soutient le grec ! Mais la majorité peut se tromper et cela a souvent
été le cas dans l'histoire des sciences.
Voici les arguments. Le fait que l'on des textes et mots grecs
irréductibles les uns aux autres me semble fort comme argument mais
il y en a d'autres.