Il existe plusieurs versions françaises de la célèbre prière du Notre-Père. Celle-ci se trouve dans la Bible, plus précisément dans l'Évangile selon Matthieu au chapitre 6. Celle utilisée couramment dans la liturgie a récemment changé : au lieu de dire “ne nous soumets pas à la tentation”, on dit maintenant “ne nous laisse pas entrer en tentation”. Pourquoi un tel changement ? Si l'on regarde le texte original, qui nous a été transmis en grec, le verbe employé signifie littéralement “(ap)porter” ; il faudrait donc traduire en mot-à-mot : “ne nous porte pas dans l'épreuve”. Il s'agit bien d'un verbe d'action, où l'on s'imagine Dieu nous soulevant, nous portant, et nous mettant dans une situation d'épreuve. Cette idée d'un dieu tentateur déplaît à certains théologiens, qui préfèrent donc traduire “ne nous laisse pas entrer en tentation”, où l'on s'imagine plutôt un dieu qui nous retient lorsque nous aurions la mauvaise idée de foncer droit dans l'épreuve. Pour justifier cet écart de traduction, on invoque parfois comme argument que le Notre-Père aurait été enseigné en araméen, langue de Jésus, et non en grec, et que c'est la version grecque qui aurait mal transmis la nuance de l'araméen.
La question du Notre-Père en araméen est complexe, comme je l'explique ici : https://michaellanglois.fr/questions/jesus-a-t-il-enseigne-le-notre-pere-en-grec/. Il convient donc d'être prudent avant de se fonder sur une hypothétique rétroversion araméenne de cette prière… Pour ma part, je préfère respecter le texte, même s'il me dérange. La Bible nous surprend, nous bouscule, nous déplace, et c'est très bien ainsi.
Un dernier mot sur la finale de cette prière : la célèbre doxologie “Car c'est à toi…” est absente de nombreuses traductions modernes de la Bible. C'est parce que ces traductions suivent les plus anciens manuscrits grecs connus à ce jour, copiés vers le IVe siècle après Jésus-Christ, et qui n'ont pas cette doxologie. On la trouve néanmoins dans nombre d'autres manuscrits, sous une forme plus ou moins longue : parfois un simple “amen”, parfois la formule récitée aujourd'hui dans la liturgie, et parfois une version trinitaire qui évoque “le règne du Père, du Fils et du Saint-Esprit”. On imagine aisément que cette prière, récitée en dehors de son contexte biblique, ait eu besoin d'une finale, qui s'est peu à peu étoffée avec le temps. En retour, cette finale a ensuite été ajoutée aux manuscrits bibliques, pour finalement se retrouver dans nos traductions modernes.

On Sat, May 2, 2020 at 8:28 AM 

Bonjour M. Langlois !

1) Question sur Matthieu 6:13 ( version Bible de Jérusalem 1988 vs

 Segond 1910) : la version BJ omet « car c'est à toi qu'appartien-

 nent, dans tous les siècles, le règne, la puissance et la gloire.

 Amen!». Sur quels manuscrits les deux versions prennent-elles

 appui ?

2) Question sur le début du même verset : « ne nous soumets pas

 à la tentation » (BJ) et, « ne nous induis pas à la tentation »

 (Sgd). Les verbes français soumettre ou induire traduisent-ils

 un verbe grec plus nuancé dont nous n'aurions pas l'équivalent

 français ? Sinon, faut-il croire que Dieu lui-même nous tente ?

 Merci d'avance de prendre un temps peut-être très précieux

 pour vous, afin de m'éclairer.

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